Test de bio-indication en vieille châtaigneraie avec la cétoine Gnorimus variabilis
Parmi les coléoptères saproxyliques, le rôle de certaines espèces dans la bio-indication des processus écologiques associés aux forêts subnaturelles est bien connu (Müller et al. 20051 ; Eckelt et al. 20172). Quelques espèces saproxyliques et partrimoniales à l’échelle d’Auvergne-Rhône-Alpes sont dépendantes de micro-habitats liés au stade d’évolution ultime de la senescence des gros arbres (eg. cavités). Coléoptères souvent ultra-spécialisés, leur présence dans un boisement indique que leurs ressources et/ou leurs gîtes sont liés aux processus de saproxylation et dont leur apparition dépend de plusieurs évènements écologiques forestiers au préalable exprimant le caractère incontournable des forêts anciennes et matures (Cateau et al. 20153).
Des méthodologies existent à l’échelle de l’habitat pour évaluer la qualité écologique d’une forêt comme l’Indice de Biodiversité Potentielle (Larrieu & Gonin, 20084) ou des suivis forestiers spécifiques de Bieloweza applicable sur l’ensemble des forêts européennes ou boréales (Bobiec et al. 20055). Par contre, des méthodes de bio-indications à propos de certaines espèces restent limitées, notamment une approche ciblant précisément une espèce dans un habitat particulier comme Gnorimus variabilis en Châtaigneraie (Fig. 1).

G. variabilis est une cétoine en grande partie dépendante de la présence d’arbres sénescents du groupe des Fagaceae, particulièrement les chênes et châtaigniers (Trizzino et al. 20146) dont les parties raméales et du tronc sont constituées d’une carie de cœur rouge cubique. Les cétoines (adultes et imagos post-nymphales) ont systématiquement été observées sur des châtaigniers type-Laetiporus comme défini par Sunhede & Vasiliauskas (19967) où l’anamorphe du polypore soufré est actif à l’intérieur des différentes parties de l’arbre.
Ces observations ont été faites par Benoit Dodelin et moi-même lors d’une étude sur le cortège de coléoptère saproxylique des châtaigneraies de Baume-Drobie commandée par l’Établissement Public Territorial du Bassin Versant de l’Ardèche entre 2017 et 2018.
* Sur les deux années d’expertise, une quinzaine de châtaigneraies de différents âges et faciès ont été échantillonnées, permettant de rassembler un nombre important de données sur les communautés saproxylique en place et de se rendre compte que G. variabilis pouvait affluer dans les châtaigneraies en phase de senescence (Fig. 2).
Partant de ce constat, l’idée de recherche vise à savoir si G. variabilis, par certains paramètres, peut être une espèce bioindicatrice pour les châtaigneraies (au moins à l’échelle du site d’étude) et que sa présence traduit la potentialité de rencontrer des coléoptères saproxyliques inféodés au même biotope mais beaucoup plus rares et/ou sténoèces. G. variabilis a les critères de bio-indication avec une grade taille, fidèle à son milieu, présente sur de nombreux sites et son écologie est en lien avec Castanea sativa (voir Gerhardt, 200210 & Gerlach et al. 201311).

La méthodologie correspond en premier lieu à savoir si la présence de G. variabilis est corrélée à celle d’autres coléoptères obtenus dans le même pool d’espèces.
- La méthode du chrono-inventaire (Dupont, 20148) est utilisée en constituant à inventorier un site en tenant compte d’un temps imparti fixé. Le timing de 30 minutes est défini comme temps de base. Cette méthode adaptée aux rhopalocères a été légèrement modifiée pour que le pas de temps de pression d’échantillonnage défini puisse être cohérent dans la recherche des coléoptères saproxyliques qui sont souvent cryptiques et cachés dans leur micro-habitats. Après ce temps imparti passé, si aucune espèce nouvelle pour l’inventaire n’est découverte dans les 15 minutes suivantes, la session s’expire et une nouvelle prospection s’établit sur un autre site. Cette méthode permet de fournir un effort d’échantillonnage standardisé, adapté à des espèces difficilement détectables et à leur recherche dans des micro-habitats particuliers (ex : consoles de polypores).
- Il s’agit de s’avoir si statistiquement, la niche écologique d’une espèce potentiellement indicatrice se superpose à celle d’espèces plus rares et patrimoniales. Cette deuxième étape analyse les modèles de co-occurrence des communautés de coléoptères saproxyliques rencontrées. En utilisant la méthode de Griffith et al. (20169), l’approche est de mesurer les associations potentielles entre paires d’espèces en évaluant si les probabilités de co-occurrences sont inférieurs ou supérieures à celles obtenues par chance. Ainsi, il est possible de voir si les occurrences de l’espèce ciblée par la méthode de bio-indication sont positivement corrélées à celles d’autres espèces de coléoptères saproxyliques inféodées aux châtaigneraies. Le taxon suivi doit au minimum obtenir 10 associations et 30% des valeurs positives (cases bleues).
- Un test exact de Fisher est utilisé afin de déterminer si les probabilités d’apparitions de G. variabilis avec les espèces patrimoniales ressortant dans l’analyse de co-occurrence sont significativement reliées. Ce test confirme les associations positives mis en lumière par la deuxième étape.

Cette méthode met en évidence que la cétoine forme statistiquement plusieurs paires d’associations avec d’autres coléoptères. Parmi ces espèces, au moins deux d’entre elles sont associées aux Châtaigneraies-Chênaies dont une peu courante (Prionychus fairmairii) et une seconde rare à l’échelle européenne (Tenebrio opacus). Le test de Fisher vient confirmer que les co-occurrences ressortant dans la matrice de paires d’espèces sont significatives, néanmoins faibles pour certaine (P. fairmairii, p = 0,01 & T. opacus, p = 0,048). T. opacus est une espèce de grande taille sténoèce, inféodée aux cavités de très vieux chênes et châtaigniers où la larve se nourrit d’un mélange de pourriture rouge avec des débris organiques présents (exuvies, cadavres d’insectes, crottes séchées etc…).
Cette approche reste perfectible avec des paramètres à revoir où à affiner. Néanmoins, elle dénote que des intuitions pressenties depuis longtemps après plusieurs observations sur le terrain que G. variabilis détient des valeurs bio-indicatives peuvent être vérifiées à l’aide de méthodes visuelles. De plus, cette méthodologie nécessite d’être répliquée pour savoir si G. variabilis conserve son statut de bio-indicateur en châtaigneraie et à différentes échelles. L’analyse de co-occurrence est influencée par la quantité d’informations. Il serait intéressant de pouvoir tester les données sur une aire d’étude plus grande et de se rendre compte si d’autres espèces peuvent être potentiellement bio-indicatrices. De plus, cette technique n’a été testée qu’en châtaigneraie, les autres formations végétales comportent leur lot d’espèces propres. Expérimenter cette méthode dans d’autres contextes naturels permettrait de voir si les résultats restent cohérents. Un cortège d’espèces rares mis en évidence par l’analyse de co-occurrence en châtaigneraie est relié aux cavités. Il s’agirait de voir quel paramètre écologique pourrait ressortir en pinède ou en hêtraie.
1Müller, J., Bußler, H., Bense, U., Brustel, H., Flechtner, G., Fowles, A., … & Zabransky, P. (2005). Urwald relict species–Saproxylic beetles indicating structural qualities and habitat tradition. Waldökologie online, 2, 106-113.
2Eckelt, A., Müller, J., Bense, U., Brustel, H., Bußler, H., Chittaro, Y., … & Seibold, S. (2018). “Primeval forest relict beetles” of Central Europe: a set of 168 umbrella species for the protection of primeval forest remnants. Journal of Insect Conservation, 22(1), 15-28.
3Cateau, E., Larrieu, L., Vallauri, D., Savoie, J. M., Touroult, J., & Brustel, H. (2014). Ancientness and maturity: Two complementary qualities of forest ecosystems. Comptes rendus biologies, 338(1), 58-73.
4Larrieu, L., & Gonin, P. (2008). L’indice de Biodiversité Potentielle (IBP): une méthode simple et rapide pour évaluer la biodiversité potentielle des peuplements forestiers. Revue forestière française.
5Bobiec, A., & Gutowski, J. M. (2005). afterlife of a tree. WWF Poland. 248p.
6Trizzino, M., Bisi, F., Morelli, C. E., Preatoni, D. G., Wauters, L. A., & Martinoli, A. (2014). Spatial niche partitioning of two saproxylic sibling species (Coleoptera, Cetoniidae, genus Gnorimus). Insect conservation and diversity, 7(3), 223-231.
7Sunhede, S., & Vasiliauskas, R. (1996). Wood and bark inhabiting fungi on oak in Lithuania. Trees, 3(5), 9.
8Dupont, P. (2014). Le Chronoventaire : un protocole d’acquisition de données pour l’étude des communautés de Rhopalocères et Zygène. Muséum d’Histoire Naturel, Rapport SPN 2014 – 22p.
9Griffith, D. M., Veech, J. A., & Marsh, C. J. (2016). Cooccur: probabilistic species co-occurrence analysis in R. Journal of Statistical Software, 69(2), 1-17.
10Gerhardt, A. (2002). Bioindicator species and their use in biomonitoring. Environmental monitoring, 1 : 77-123
11Gerlach, J., Samways, M., & Pryke, J. 2013. Terrestrial invertebrates as bioindicators: an overview of available taxonomic groups. Journal of insect conservation, 17(4) : 831-850